Par Philippe ROBERT et Renée ZAUBERMAN. Traitements statistiques de Sophie PEAUCELLIER et Fadoua JOUWAHRI. – Juin 2017
Responsables de l’Observatoire scientifique du crime et de la Justice, Philippe ROBERT et Renée ZAUBERMAN viennent de publier une synthèse sur le sentiment d’insécurité. Ils décrivent ici ses différentes dimensions et leurs évolutions dans les dernières décennies. Les traitements statistiques ont été réalisés pour l’enquête nationale par Sophie PEAUCELLIER et pour l’enquête francilienne par Fadoua JOUWAHRI.
Depuis la campagne pour les élections municipales de 1983, insécurité et peur du crime sont un élément constitutif du fonds de commerce de l’extrême-droite. Depuis plus longtemps encore, à partir des lois Peyrefitte de 1978 et 1981, elles occupent aussi une place centrale dans la feuille de route de la droite. Et la gauche ne s’y est-elle pas convertie, de plus ou moins bon cœur, depuis le colloque de Villepinte de 1997 ? Voilà donc cette insécurité devenue, en un tiers de siècle, omniprésente dans le débat public… Et les attentats terroristes ont porté le thème à l’incandescence. Il ne suffit pas pour autant d’observer l’insécurité dans l’arène médiatique/politique. Il faut commencer par suivre sa distribution dans la société. Les années récentes ont vu se multiplier les essais qui tentent d’expliquer sa fortune. Mais ils pâtissent souvent de ne disposer que de données parcellaires ou monographiques et sans grande profondeur chronologique.
Pour notre part, nous avions commencé par dresser au début des années 1980 un bilan des recherches américaines alors largement inconnues en France. Puis nous avons mobilisé les rares données solides dont on disposait pour insister au cours des années 1990 sur le polymorphisme de l’insécurité et de la peur du crime. Nous les avons encore mises à contribution au début des années 2000 pour montrer les glissements des inscriptions sociales de l’insécurité. En 2002, nous avons synthétisé les acquis de l’époque. Si nous revenons aujourd’hui à ce chantier, c’est parce que sont désormais disponibles de nouvelles données, imparfaites mais qui permettent de documenter les différents aspects de l’insécurité et surtout de suivre leurs évolutions. Le développement d’enquêtes régulières sur la victimation a, en effet, permis d’étudier l’insécurité de manière plus systématique.
À l’échelle nationale, les questions dédiées au sentiment d’insécurité ont souvent été affectées par une certaine instabilité des formulations. Au moins ces enquêtes françaises ont-elles intégré l’idée que le sentiment d’insécurité n’est pas une dimension simple que pourrait traduire une mesure unique. Ces données nationales sont consolidées par l’existence de résultats franciliens qui s’étalent certes sur un laps de temps un peu plus bref, depuis 2001, mais qui, en revanche, se fondent sur des questions très stables. Si les enquêtes françaises de victimation tiennent généralement compte de la nécessité de distinguer différentes circonstances et différents lieux d’insécurité et aussi d’offrir aux enquêtés la possibilité d’une réponse graduée, en revanche, elles n’explorent pas les réactions émotionnelles différentes de la peur et ne distinguent pas selon les sortes d’expériences de victimation. Ce sont, en tout cas, les seules données précises permettant de documenter l’insécurité en France, nous nous appuierons sur elles pour dresser successivement un tableau des peurs et de la préoccupation pour la délinquance.