Les modalités d’affectation en cellule constituent un enjeu récurrent de réforme de la prison. La généralisation, dès 2008, d’une unité spécifique (appelée quartiers « arrivants ») dédiée à l’accueil et à l’observation des personnes nouvellement incarcérées a contribué à uniformiser la procédure d’affectation. Des évaluations professionnelles portant sur les signes de fragilité, de vulnérabilité ou d’agression précèdent ainsi la décision de placement en cellule. De façon concomitante, les motifs de placement en cellule ont fait l’objet d’un encadrement légal et réglementaire accru, dans un contexte jurisprudentiel ayant progressivement fait des conditions de vie imposées en cellule un critère du respect des droits dans les lieux de détention. De rares obligations, comme la séparation des personnes prévenues et condamnées, cohabitent dans le code de procédure pénale avec de nombreuses préconisations selon l’écart d’âge des co-détenus ou encore le statut de l’affaire en cours (délictuelle ou criminelle). Ces changements prennent une teneur particulière en maison d’arrêt, seuls établissements pénitentiaires confrontés à une surpopulation chronique, qui détiennent par ailleurs aussi bien des personnes en attente de jugement que condamnées à des peines inférieures à deux ans ou en attente de transfert dans un établissement pour peine. Cette spécificité historique1 rend d’autant plus visibles les tensions dans lesquelles sont prises les modalités d’assignation en cellule, censées répondre tout à la fois aux impératifs de prévention du suicide, de gestion de l’ordre et de réduction des sources de conflits.

C’est dans ce contexte de tentatives d’uniformisation de la procédure d’affectation que l’on peut replacer l’étude des modalités de répartition. L’objet principal de cette étude a été de comprendre comment le personnel de surveillance organise, dans l’exercice quotidien du maintien de l’ordre, des pratiques informelles de répartition. À partir d’une enquête ethnographique de neuf mois dans deux maisons d’arrêt pour hommes (2015-2016), renommées Coudine et Touges, cette analyse interroge la manière dont les surveillants désignent et regroupent les détenus au regard de critères liés au lieu de provenance des détenus (venir du même quartier, de la même ville, fréquenter les mêmes cercles à l’extérieur) et à l’ethnicité.

On montre d’abord que l’accent mis sur ces critères diffère d’une prison à l’autre. À Touges, l’impératif de prévention des désordres (représailles éventuelles liées aux trafics et à la criminalité organisée à l’extérieur) conduit le personnel pénitentiaire à s’appuyer sur des critères territoriaux. À Coudine, les pratiques d’affectation reposent de manière plus explicite sur des représentations ethniques et ethnolinguistiques et s’accompagnent, inversement, d’un discours qui consiste à faire de l’organisation interne des espaces de détention un moyen de lutte contre une prétendue « ghettoïsation » de la prison. Cette expression, entendue à plusieurs reprises dans cette maison d’arrêt, suit une acception particulière visant l’évitement de certains groupes (associés aux jeunes de banlieue) au profit de regroupements par nationalité ou par  pays d’origine. Ces représentations se traduisent par des orientations spécifiques de la part des directions d’établissement. On verra qu’elles ne font cependant pas obstacle à la consolidation de pratiques similaires par les gradés en charge de la gestion des bâtiments. Ces deux niveaux de comparaison, attenant d’une part aux orientations données (ou soutenues) par les directions de ces établissements et d’autre part aux normes produites sur le terrain par les gradés, permettront ainsi de saisir ce que produit la part discrétionnaire des décisions d’affectation laissée à ces agents. En dépit des représentations distinctes de l’altérité sur ces deux terrains, on observe une pratique similaire consistant à diviser les coalitions dites de « quartiers » ou de « cités ». Celle-ci se traduit de façon commune par la construction de normes tacites d’équilibrages fondées sur des catégorisations ethniques. L’étude des modes d’organisation de l’espace carcéral interroge dès lors la redéfinition du périmètre d’action de l’État en prison, et plus exactement la capacité de ses agents à identifier des groupes sur lesquels pèseront certaines règles de répartition plus que d’autres…

 

1 Source d’attentes contradictoires. Voir sur ce point Milhaud O., 2015, L’enfermement ou la tentation spatialiste. De « l’action aveugle, mais sûre » des murs des prisons, Annales de géographie, 702‑703, 2‑3, p. 140-162.

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