par Laurent MUCCHIELLI, Véronique LE GOAZIOU – septembre 2010
Véronique LE GOAZIOU, sociologue, est chercheuse associée au CNRS (CESDIP). Laurent MUCCHIELLI, sociologue, est directeur de recherche au CNRS (CESDIP). La présente recherche a été réalisée à la demande de la DACG (Direction des Affaires Criminelles et des Grâces) au ministère de la Justice et avec le soutien de la Mission de Recherche « Droit et Justice ».
Tandis que les homicides baissent régulièrement depuis le milieu des années 1980 [1], les condamnations pour viols ont triplé entre la seconde moitié des années 1980 et la toute fin des années 1990, puis stagné durant les années 2000 (figure 1). Les viols sont ainsi, et de loin, le crime le plus couramment jugé en Cours d’assises [2]. Ils sont aussi un crime que la justice sanctionne de plus en plus sévèrement [3]. Tandis qu’en 1984, seules 18 % des peines de prison prononcées pour sanctionner ce crime étaient supérieures à 10 ans, en 2008 ce pourcentage est passé à 43 %. Enfin, cette sévérité accrue s’accompagne de la dénonciation de plus en plus fréquente d’un crime traditionnellement très peu déclaré par les victimes.
Les viols illustrent donc le mouvement de judiciarisation qui caractérise l’évolution de notre société, qui se traduit par une intolérance et une dénonciation croissantes des violences interpersonnelles (notamment celles commises envers les femmes et les enfants) [4]. Ainsi, deux grandes enquêtes de victimation indiquent que, entre 2000 et 2006, les viols déclarés aux enquêteurs n’avaient pas augmenté d’une enquête à l’autre, mais leur dénonciation si [5]. Reste que seules 5 à 10 % des victimes, selon les types d’enquêtes, ont porté plainte à la police ou la gendarmerie. La réalité judiciaire est donc très éloignée de la réalité sociale. L’objet du présent article, fondé sur un dépouillement de 425 affaires de viols jugés aux assises, est d’explorer la diversité des comportements que recouvre la catégorie juridique de viol définie par l’article 222-23 du code pénal et les trois articles suivants qui en précisent les circonstances aggravantes.
(1) MUCCHIELLI L., 2008, L’évolution des homicides depuis les années 1970 : analyse statistique et tendance générale, Questions Pénales, XXI, 4, 1-4.
(2) En 2008 (dernier chiffre publié), les juridictions ont prononcé 1 684 condamnations pour viols, dont 1 182 par des cours d’assises pour majeurs, 176 par des cours d’assises pour mineurs, 305 par des tribunaux pour enfants et 21 par des cours d’appel pour mineurs. Les viols représentent près de la moitié (46 %) des crimes jugés aux assises, devant les homicides, les vols à main armée, les coups mortels sans intention de tuer et divers autres crimes plus rares.
(3) La définition du viol demeure inchangée depuis la loi du 23 décembre 1980 : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Des lois de 2003 et 2006 ont cependant créé de nouvelles circonstances aggravantes (viol conjugal, viol homophobe) sans que l’on puisse ici en mesurer les effets. Enfin, la récente loi du 8 février 2010 (qui se situe hors du champ de la recherche) a fait entrer la notion d’inceste dans le code pénal.
(4) MUCCHIELLI L., 2008, Une société plus violente ? Analyse socio-historique des violences interpersonnelles en France, des années 1970 à nos jours, Déviance et Société, 2, 115-147.
(5) BAJOS N., BOZON M., 2008, Les agressions sexuelles en France : résignation, réprobation, révolte, in BAJOS N., BOZON M., (dir.), La sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte, 381-407.