Ce texte est extrait de la du numéro 115 de Etudes & Données Pénales publié en mars 2015 par le CESDIP.
Comment et à l’occasion de quelles circonstances l’ancienne main courante (MC) en usage depuis plus d’un siècle dans les mondes policiers est-elle devenue la main courante informatisée (MCI) que nous connaissons aujourd’hui ? Pourquoi en avoir fait un outil devenu à ce point indispensable ?…
Ayant absorbé pendant des décennies de l’événementiel tout-venant, un événementiel trop disparate et bien peu normalisé, recourir au contenu des registres de main courante tenus par habitude semblait en effet être devenu une corvée inefficace, voire inutile, tant en prévention qu’en répression. On continua néanmoins à faire vivre ces registres en les alimentant au jour le jour, au cas où ils pussent toujours offrir des pépites insoupçonnées à redécouvrir plus tard…
Une règle d’or de toute police veut en effet que chaque unité laisse les propres traces apparemment inutiles de son travail à l’institution, laquelle, elle, n’entend jamais rien oublier de l’activité de ses propres services. De fait, ces documents, quels qu’en soient les supports matériels, s’inscrivent dans une longue histoire du compte rendu systématique d’une police toujours soupçonneuse envers les populations sous son contrôle et envers elle-même, qui se rassure par l’écrit en relatant tout événement anormal (anomalie) ou perturbateur.
Or, à quelque chose malheur est bon, puisque ces traces d’écritures policières de plus en plus normalisées constituent bel et bien une littératie (literacy) à part entière (Goody, 2007), qui fait le miel des historiens travaillant sur archives, historiens des mentalités comme historiens des institutions d’ordre ou de remise en ordre. Dès les années 1970, Michel Foucault avait montré comment, à l’âge classique, la surveillance administrative des populations avec ses instruments propres, était devenue une nécessité pour tous les pouvoirs, ayant débouché sur un certain nombre de savoirs, savoirs de gestion, d’enquête et d’inquisition policière.
Le philosophe avait montré comment ce savoir-pouvoir, au cours du XIXe siècle, avait transformé tout agent administratif en agent de constitution du savoir doté d’instruments de plus en plus raffinés d’abstraction, et permis l’éclosion d’une ouverture des appareils de pouvoir à des foyers de savoir de plus en plus autonomes (Foucault, [1973], 2013). Implications gigantesques pour scruter la gouvernementalité sécuritaire contemporaine où les savoirs et pouvoirs policiers sur les populations, par le biais d’instruments de connaissance confortés par ces dernières, se trouvent en tous sens interrogeables dans la mesure même de leur récursivité.
Avant d’entrer dans le vif du sujet de l’opérationnalisation de la présente étude, il n’est pas inutile de passer en revue les découvertes de ceux qui s’intéressèrent, avant nous, à cette source de connaissance policière, pour mieux justifier nos propres objectifs.
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