Le procès pénal pour délit de fraude fiscale et d’escroquerie à la TVA
par Mélanie PÉCLAT – juillet 2013
Mélanie PÉCLAT est doctorante et ATER à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et rattachée au CESDIP. Elle termine une thèse sur la représentation et les réponses données à la déviance fiscale en France.
Le procès pénal pour fraude fiscale se distingue d’emblée du droit commun. Le dépôt de plainte du ministère des Finances conditionne l’action du ministère public qui n’a pas l’opportunité des poursuites. La plainte déposée par le ministère des Finances passe par le filtre de la Commission des Infractions Fiscales (CIF) qui détermine quels sont dossiers qui nécessitent d’être poursuivis pénalement. Le traitement pénal de la fraude fiscale ne concerne qu’une minorité des dossiers traités par l’administration fiscale. En effet, suivant le rapport d’activité de la DGFIP de 2011, sur 51 441 contrôles sur place, « 15 402 ontrôles fiscaux externes (CFE) sanctionnant des manquements caractérisés au-delà de la simple erreur ou omission et portant sur des sommes significatives ont comporté une action répressive. » Et sur ces 15 402 dossiers, ce sont « 1 046 plaintes pour fraude fiscale (qui) ont fait l’objet d’une transmission à la Commission des infractions fiscales et 966 (qui) ont été déposées après un avis favorable ».
Quand la CIF émet un avis favorable, l’institution judiciaire se saisit alors de la plainte et l’administration fiscale se constitue partie civile. Elle s’adjoint alors les conseils d’un avocat issu de l’un des deux cabinets parisiens la défendant depuis le milieu des années 1950. Les avocats de l’administration fiscale interviennent donc en aval de la construction du dossier qui servira à la rédaction de leurs conclusions et à la construction de leurs plaidoiries. En ce sens, l’administration fiscale n’est pas considérée comme un client normal, mais bien plutôt comme un « partenaire ». La chaîne administrative puis judiciaire allant du contrôle fiscal au procès pénal pour fraude fiscale suit une organisation propre et s’éloigne en ce sens des procédures de droit commun. Cependant, et c’est là toute l’ambiguïté du procès pénal pour délit de fraude fiscale, l’administration cherche à donner l’apparence que son statut particulier n’influe pas sur la décision des acteurs judiciaires.
Si l’administration fiscale est une partie civile comme les autres, comment alors expliquer le fait qu’elle ne perde quasiment aucune de ses affaires ? Comment l’administration assume-t-elle son statut particulier de « victime-partenaire » ? Quel est le véritable rôle de ses avocats dans le procès pénal pour fraude fiscale ? Pour répondre à ces questions nous chercherons ici à démontrer que le caractère spécifique du traitement pénal des dossiers de fraude fiscale met d’emblée l’administration fiscale dans une situation ambiguë qui contraint les avocats à tenir le rôle de garants du respect du droit et des procédures pénales.
Post-scriptum :
Ce numéro de Questions Pénales est tiré d’une recherche en cours, financée par le GIP-Justice et prenant place dans un travail de doctorat.
Les conclusions que nous délivrons ici sont issues de l’observation de 22 audiences correctionnelles pour délit de fraude fiscale et pour délit d’escroquerie à la TVA. Nos observations ont été effectuées aux mois de février et mars 2012, dans des tribunaux situés, pour la grande majorité, en Île-de-France. Vingt ont en effet été réalisées à Paris, Versailles, Bobigny, Meaux, Créteil, Évry, Nanterre et Cergy-Pontoise, une au Mans et une à Caen.
Nos observations ont été étayées d’entretiens semi-directifs avec des avocats de l’administration fiscale, que nous avons nommés AV1, AV2, AV3 et AV4, afin de préserver leur anonymat.