Par Renaud Epstein, Carole Gayet-Viaud et Alice Simon.
Renaud Epstein est professeur de sociologie à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et membre du CESDIP.
Carole Gayet-Viaud est chargée de recherche CNRS au CESDIP.
Alice Simon est docteure en science politique et chercheuse associée au CESDIP.
Cette livraison de Questions pénales présente la synthèse de deux études relatives au Plan national de formation « Valeurs de la République et laïcité », mis en place après les attentats de janvier 2015 : une enquête ethnographique conduite en 2017 par Carole Gayet-Viaud, et une étude évaluative réalisée en 2018 par Alice Simon, Renaud Epstein, Ghislain Gabalda, Géraldine Martin et Emilien Ormières.
Au cours des dernières décennies, la question du retour des religions dans des sociétés occidentales largement sécularisées s’est imposée dans les débats publics. En France, cette question s’est largement confondue avec celle de l’islam et de sa visibilité publique. Depuis la polémique sur « les foulards de Creil », consécutive à l’exclusion de trois collégiennes refusant d’enlever leur voile en classe en 1989, elle occupe une place croissante dans les débats relatifs à l’intégration des immigré·es et de leurs descendant·es. La question de la laïcité a été réinvestie dans cette perspective, à l’occasion des débats sur le port du voile dans l’espace scolaire puis dans l’espace public qui se sont intensifiés à partir du début des années 2000 avec le développement de l’islamisme radical.
La laïcité est ainsi (re)devenue l’objet de vives controverses, entre les tenants de deux conceptions antagoniques de ce principe constitutionnel. Pour les partisans d’une « nouvelle laïcité », son affirmation intransigeante serait nécessaire pour combattre les dérives d’un islam rigoriste qui conduirait au communautarisme, au séparatisme, voire au terrorisme. A cette conception s’oppose celle des tenants du respect de la laïcité dans sa forme historique, issue de la loi de 1905, qui affirme la non-ingérence de l’État dans les affaires religieuses et réciproquement, afin d’assurer l’égalité de traitement de tou·tes les citoyen·nes et de garantir les libertés de culte, d’opinion et de croyance, sans prétendre cantonner celles-ci dans la sphère privée.
L’attentat visant le journal Charlie Hebdo a particulièrement cristallisé ces débats, non seulement parce qu’il a ravivé les inquiétudes vis-à-vis de la menace du terrorisme islamiste, mais aussi parce que des cas de perturbation de la minute de silence en hommage aux victimes dans des établissements scolaires ont provoqué de vives tensions dans le débat public.