Pour rendre plus lisibles les activités du CESDIP, et parce que la compréhension des désordres urbains et de leur gestion nécessite une vision globale des situations, nous avons décidé de rassembler sous un même thème trois des cinq axes traités séparément dans le précédent rapport – transformation des organisations policières (ancien axe 2), coproduction de la sécurité publique dans les territoires (ancien axe 3), technologies de la sécurité (ancien axe 6). Cette perspective permet de comprendre les arrangements, ajustements, conflits et rivalités entre de multiples organisations (policières, judiciaires, sociales) plus ou moins coopératives, entre des professionnels aux objectifs divergents, entre des pratiques et des instruments de gestion. Cet axe rassemble donc les questionnements relatifs à la production de l’ordre socio-politique par l’interaction permanente de ces professionnels, ou qui concernent les relations entre institutions et populations, et les rapports interprofessionnels autour des politiques de prévention, de médiation, mais aussi bien sûr autour de l’usage de la contrainte physique par les forces de l’ordre.
Les désordres (notamment urbains) et leurs régulations, à la charnière entre prévention, médiation et répression, demeurent un thème central au sein du CESDIP. Divers travaux s’attachent à analyser la pertinence du concept de coproduction de la sécurité urbaine et de son articulation avec la prévention : désordres urbains et globalisation (S. Body-Gendrot), prise en charge des déviances par l’institution scolaire (M. Esterle), gestion des incivilités par les institutions (C. Gayet-Viaud, J. de Maillard), enjeux institutionnels de la gouvernance de la prévention-sécurité (T. Le Goff, J. de Maillard, M. Zagrodzki), métiers de la médiation (C. Gayet-Viaud, J. de Maillard, M. Zagrodzki), pluralité des acteurs policiers et non-policiers contribuant au policing des espaces urbains et à la tranquillité publique (J. de Maillard, V. Malochet, M. Zagrodzki, C. Gayet-Viaud).
Ces travaux s’insèrent dans des comparaisons internationales pour lesquelles les chercheurs du CESDIP continuent d’investir les réseaux internationaux, notamment dans le cadre du GERN ou de l’European Society of Criminology sur des comparaisons européennes – collaboration qui a déjà donné lieu à de nombreuses publications, que ce soit sur les politiques de sécurité des villes, les interactions élus-services de police ou la production de nouvelles formes d’intelligence collectives dans les espaces urbains.
Au-delà des approches plus classiques focalisées sur les interactions entre les institutions et les relations police-public – approches largement développées au sein du CESDIP – plusieurs pistes de renouvellement de ce thème apparaissent. C. Gayet-Viaud a entrepris un travail autour des différentes définitions et mesures, non seulement institutionnelles mais également du point de vue des habitants, des désordres urbains, confrontant les définitions et mesures des phénomènes produites par les observatoires divers (bailleurs, municipalités, transporteurs publics) aux doléances des usagers et habitants de ces services et espaces, qui ne font quant à elles jamais l’objet de quantifications institutionnelles. Les recrutements récents de L. Lartigot-Hervier sur la redéfinition des politiques autour des drogues et de la toxicomanie, et de R. Epstein autour des politiques de la ville viennent conforter cet élargissement de la notion de sécurité. Dans un registre plus centré sur les institutions pénales mais élargi à de nouveaux acteurs associatifs, les thèses engagées par E. Ormières (lutte contre les discriminations) ou encore L. Sadowski (gestion locale de la question Rom) apportent aussi des questionnements nouveaux.
Les nouvelles technologies de sécurité sont également un sujet central au CESDIP. Le laboratoire rassemble ainsi les recherches de P. Piazza sur les fichiers de police mais aussi la police scientifique, ou de D. Ventre sur les politiques de cybersurveillance, le piratage de logiciels ou encore la sécurité du traitement des big data. Il compte également des chercheurs associés comme Michael Meyer, travaillant sur les « caméras piétons » utilisées par les policiers, et plus généralement sur l’utilisation de la preuve par l’image dans les institutions pénales. Ces recherches peuvent s’appuyer sur les ressources de la Fédération SIHS – Sciences Informatiques, Humaines et Sociales – rassemblant différents laboratoires de l’UVSQ et reconnue par le CNRS, dans laquelle D. Ventre est fortement impliqué.
Les relations entre les services de police et leurs clientèles continuent de bénéficier de l’engagement des chercheurs. J. de Maillard, R. Lévy, F. Jobard et Ch. Mouhanna prolongent actuellement leurs travaux sur les contrôles d’identité en France et à l’étranger. Ce travail prend appui sur de solides partenariats institutionnels, comme en témoignent : la publication à venir de F. Jobard et J. de Maillard dans un livre édité par le Défenseur des Droits, et fondée sur l’exploitation de ses bases de données par J. de Maillard au cours de l’année 2017 ; la participation à des groupes de travail sur ce thème dans différentes instances ministérielles (participation de C. Gayet-Viaud, à la suite de René Lévy, à la cellule d’animation des relations police-population du CIPDR) associatives ou parlementaires ; ou encore l’appartenance à des réseaux académiques internationaux (réseau international COST sur les contrôles d’identité impliquant J. de Maillard et Ch. Mouhanna). Ces réflexions sur les rapports police-population se développent dans un dialogue constant avec d’autres travaux en cours au CESDIP, qui interrogent de manière plus large les ressorts de l’action policière, et notamment ses attendus genrés et racialisés. Ainsi, les recherches d’ E. Blanchard, qui questionnent les relations entre institution policière et populations immigrées, en particulier leur inscription dans un continuum de représentations post-coloniales, trouvent un écho dans d’autres travaux à caractère ethnographique et visant à éclairer le poids des assignations de genre et/ou de race dans les interactions entre police et populations-cibles : O. Pérona s’intéresse ainsi au traitement policier des violences sexuelles, dans le prolongement de son travail de thèse. Le contrôle du proxénétisme impliquant des étrangers est au cœur de l’ANR ProsCrim coordonnée par M. Darley. Les pratiques routinières du contrôle policier sont conjointement analysées, au prisme du genre notamment, par M. Darley et J. Gauthier.
La question des métiers de la sécurité et de la prévention, et de leurs transformations, reste bien évidemment au cœur des sujets que le CESDIP continue à analyser. La socio-histoire des polices, et en l’occurrence des métiers policiers, que les recherches de J.-M. Berlière, E. Blanchard, R. Lévy, L. Lopez, P. Piazza ont abordée à partir d’angles multiples, continue d’être un enjeu de recherche majeur. Les relations hiérarchiques au sein des organisations policières constituent un objet privilégié, et ce questionnement est partagé par des chercheurs comme J. de Maillard, C. Mouhanna ou F. Ocqueteau. Cette problématique trouve un écho fructueux avec les recherches d’E. Saint-Fuscien sur les relations d’autorité au sein de l’armée. Les travaux en cours de F. Ocqueteau et C. Mouhanna autour de la déontologie des métiers de la sécurité viennent renouveler cette perspective, en interrogeant les effets de cette nouvelle normativité sur les pratiques professionnelles. Enfin, l’étude de la « pluralisation » de la sécurité publique, c’est-à-dire de l’intervention de nouvelles organisations, non étatiques, dans la gestion des désordres et le partage du monopole de la violence physique légitime (J. de Maillard, V. Malochet, M. Zagrodzki), voit ses perspectives s’élargir avec la thèse d’A. Restelli sur la pluralisation des opérations de maintien de l’ordre, domaine jusqu’ici strictement réservé aux services nationaux. Les nouveaux métiers de la sécurité (les médiateurs) et les nouvelles fonctions (notamment celle de DCPP – délégué à la cohésion police population – analysée conjointement par J. de Maillard, C. Gayet-Viaud, F. Jobard et A. Maret), mais aussi l’analyse des reconversions public-privé (F. Ocqueteau), viennent compléter ce tableau quasi exhaustif de l’analyse des nouvelles configurations à l’œuvre autour des appareils et des politiques de gestion des désordres.