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Grégory Salle est chargé de recherche au CNRS, rattaché au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSÉ). Après avoir travaillé sur la prison et la question carcérale, puis plus largement sur le système pénal, il conduit désormais des recherches portant sur la criminalité, la justice et les inégalités environnementales, à partir de cas littoraux situés en France et aux États-Unis.
La pratique de la grande plaisance, symbole du mode de vie bourgeois, renvoie inévitablement à la question des inégalités socio-économiques. L’usage et à plus forte raison la possession d’un yacht constitue l’un des signes extérieurs de richesse les plus patents qui soit. Manifestation frappante de l’envolée des très hauts revenus et patrimoines à l’échelle du globe, l’essor spectaculaire de la » superyacht industry » depuis les années 1980 n’est pas fait pour démentir cette idée. La perception sociale de l’activité de plaisance est elle-même traversée par une inégalité de classe : si la petite plaisance populaire est volontiers stigmatisée pour son caractère insipide voire pollueur, la plaisance bourgeoise bénéficie, à l’inverse, du statut de sport distingué mêlant harmonieusement goût esthétique et respect écologique.
On prendra ici le contrepied de cette représentation tout en décalant le point de vue, à partir d’une recherche menée sur le littoral méditerranéen français. Il faut d’abord appuyer le constat de la gravité sous-estimée des nuisances environnementales provoquées par la navigation de plaisance de luxe : dès lors qu’ils ne mouillent pas dans les zones sableuses prévues à cet effet, ces navires détruisent l’herbier de posidonie, une plante endémique de la Méditerranée, véritable forêt sous-marine qui joue un rôle essentiel dans la régulation de l’équilibre écosystémique. On peut alors envisager cette atteinte sur la base du partage juridique et social entre légalité et illégalité, et des rapports de force qui le sous-tendent. Cette plante est en effet protégée depuis 1988 à l’échelle nationale, puis par une directive européenne de 1992. La détruire constitue un délit, connu des autorités, mais jamais réprimé, au motif d’un obstacle pratique : la difficulté à constater ces atteintes sur le mode du flagrant délit. Dans un dialogue avec le courant anglophone connu sous le nom de » green criminology « , on reviendra ici sur un cas instructif et méconnu de ce que Michel Foucault proposait de nommer la gestion différentielle des illégalismes.
Laurent Neyret est professeur en droit privé à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Ses recherches concernent la responsabilité environnementale, la responsabilité médicale et le droit de la bioéthique, dans leur dimension tant nationale qu’internationale.