Le 7ème Congrès de l’AFS se déroulera du 3 au 6 juillet 2017, au sein de trois des sites de l’Université de Picardie Jules Vernes :
- Le Pôle Cathédrale (10 Placette Lafleur)
- Le Pôle Arts (30 rue des Teinturiers)
- Le Pôle Sciences, bâtiment des Minimes (2 rue Edmond Fontaine)
Ce nouveau rendez-vous de la sociologie française est organisé par l’équipe du Centre universitaire de recherches sur l’action publique et le politique (CURAPP-ESS), avec l’appui de l’Université de Picardie Jules Vernes, de l’UFR de Sciences Humaines et Sociales, Philosophie, de la Maison européenne des sciences de l’Homme et de la société (MESHS), d’Amiens Métropole et de la Mairie d’Amiens.
Ce congrès 2017 de l’AFS se propose de questionner la notion du pouvoir autour de la sociologie au travers d’un ensemble d’interventions :
- Deux sessions plénières menées par Beverley Skeggs (Professeur de Sociologie à l’Université Goldsmiths de Londres) et Patrick Boucheron (Professeur au collège de France, titulaire de la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe Occidentale (XIIIe-XVIe siècles) »)
- Des conférences et débats
- Quatre sessions semi-plénières
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Site du Congrès
Sociologie des pouvoirs, pouvoirs de la sociologie
Accusée de favoriser une « culture de l’excuse », raillée pour son prétendu manque de scientificité ou réduite à un « sociologisme » honni, la sociologie continue de déclencher régulièrement les sarcasmes de tous ceux qui voudraient la réduire au silence pour mieux asseoir et étendre leur(s) pouvoir(s). En prenant pour thème « Sociologie des pouvoirs, pouvoirs de la sociologie », le congrès de l’Association française de sociologie qui se tiendra à Amiens en juillet 2017 repose au contraire sur l’idée que le (la) sociologue est d’abord un(e) « chasseur(se) de mythes », selon l’expression de Norbert Elias. Or, parmi ceux-ci, l’un des plus puissants est peut-être celui qui fait de l’ordre social un ensemble de données à la fois naturelles et légitimes : les pouvoirs se présentent ainsi le plus souvent comme neutres et leurs logiques s’affichent comme spontanément justes.
Alors même que les inégalités sociales de toutes sortes se cumulent et souvent s’accroissent, le rôle de la sociologie est ainsi plus que jamais de découvrir les processus par lesquels divers pouvoirs parviennent à les légitimer, voire à les renforcer, cela tout en préservant les apparences de la neutralité et de l’universalité.
Le congrès de l’AFS permettra avant tout de faire le point sur l’état des recherches sociologiques menées en France et ailleurs dans le monde, visant à analyser les fondements des pouvoirs sous toutes leurs formes, à diverses échelles, du niveau le plus « micro » au plus « macro », et dans divers contextes. Elles peuvent porter sur leur histoire, leur mode de fonctionnement, leur étendue et leurs limites, ce qui les renforce et ce qui les fragilise, ce qui les construit comme ce qui peut les renverser.
Il s’agira aussi de montrer en quoi les outils et les méthodes de la sociologie continuent dans la pratique quotidienne de la recherche d’interroger les fondements de nos sociétés, et tout particulièrement en quoi ils renouvellent la connaissance des actions, des discours, des dispositifs qui permettent de les « gouverner » et de les reproduire, mais aussi de les changer : pouvoirs politiques bien sûr, mais aussi économique, médiatique, culturel, académique, religieux, familial, etc.
Dans chaque cas, la sociologie met en œuvre des démarches qui lui sont propres, mobilise des outils théoriques et empiriques originaux, produit un ensemble de résultats cumulatifs qui sont susceptibles de nourrir le débat démocratique en se fondant sur des raisonnements et des faits, et en rompant avec les représentations idéologiques diverses qui dominent l’espace public.
Indépendante de tout pouvoir, la sociologie peut ainsi constituer en elle-même une forme de « contre-pouvoir », mais il s’agira aussi de discuter des conditions qui rendent possible l’existence de celui-ci, d’en identifier la nature, le fondement, les conséquences possibles et souhaitables : quels sont, finalement, les « pouvoirs » de la sociologie ? S’agit-il seulement de contribuer à la connaissance de la réalité (dans sa dimension proprement sociale), ce à quoi semble parfois se résumer sa raison d’être, ou la sociologie peut-elle aussi, et à quelles conditions, participer à la dynamique de changement des pouvoirs et de l’ordre social ? Si elle doit permettre de « comprendre le monde », en adoptant sur lui un regard scientifique, peut-elle également contribuer à le « transformer » ? Si c’est le cas, comment peut-elle tirer parti de ses résultats, de ses théories ou de ses méthodes pour exercer des effets, et lesquels ?
Telles sont les questions auxquelles le congrès 2017 de l’AFS se donne pour tâche de commencer à répondre, en appelant pour cela les sociologues à la mobilisation !
Intervention des chercheurs du CESDIP
Kathia Barbier : Comment le genre des institutions pénales donne un genre à la délinquance. Le cas des femmes dans les procédures pénales en matière de stupéfiants
RT13 Sociologie du droit et de la justice
Appuyée sur une recherche doctorale portant sur le traitement pénal des femmes présumées auteures d’infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS), la communication visera à montrer comment les relations de pouvoir entre police judiciaire et parquet contribuent à l’invisibilisation de certains profils de femmes parmi la population judiciarisée.
La recherche, basée sur des entretiens avec des policiers spécialisés dans la lutte contre le trafic de produits stupéfiants et des magistrats du parquet, a notamment fait ressortir l’existence d’un contraste sexué, professionnellement situé, s’agissant de l’étiologie de la délinquance des femmes et du processus d’attribution de la responsabilité pénale à leur égard : les policiers (majoritairement des hommes) tendent à déresponsabiliser les femmes quand, en regard, les magistrats du parquet (majoritairement des femmes) se montrent beaucoup moins indulgents et insistent pour que le travail des enquêteurs mette en lumière l’implication des femmes. Ils sont également plus portés à rechercher de façon plus serrée la responsabilité pénale des femmes qui s’écartent des comportements féminins attendus, tout particulièrement en matière de maternité.
Nous nous proposons de montrer que cette différence de perceptions s’inscrit dans des rapports de pouvoirs particuliers entre ces deux premiers « maillons » de la chaine pénale. Malgré la relation hiérarchique qui unit policiers et magistrats du parquet, plaçant les premiers sous la direction des seconds, des facteurs organisationnels et institutionnels viennent limiter le pouvoir des parquetiers lorsqu’il s’agit de compenser les effets des représentations policières sur la (non)mise en visibilité de certains profils de femmes. Il apparaît d’abord que l’autonomie dont bénéficient les policiers et le pouvoir discrétionnaire dans le travail policier qui en découle (Monjardet, 1994) limitent les marges d’action des magistrats et, par là même, le phénomène compensatoire dont on aurait pu supposer l’existence au point de rencontre de ces deux « maillons » sexuellement différenciés. En somme, bien que supposément décisionnaires en matière de poursuites, les magistrats ne peuvent pas toujours mettre en visibilité les profils de femmes que les policiers tendent à invisibiliser dès les premiers stades de l’enquête. Ensuite, les logiques organisationnelles de l’institution judiciaire et les profondes transformations qu’elle a connues récemment renforcent ce phénomène. Le nouveau paradigme de la justice rapide (Lenoir, Gautron, 2014 ; Bastard, Mouhanna, 2007), ainsi que l’introduction de logiques et dispositifs managériaux (Bastard et al., 2015 ; Kaminski, 2010, 2002 ; Vigour, 2011, 2008), contribuent à exclure des dossiers d’affaires les figures jugées marginales, accessoires, ou dont la culpabilité est trop complexe à prouver − situations qui concernent souvent les femmes dans les affaires d’ILS. Cela conduisant là encore les magistrats, selon leurs dires, à n’avoir pas les moyens de pénaliser les femmes comme ils le souhaiteraient.
En faisant dialoguer sociologies des rapports de genre et du fonctionnement des institutions pénales, nous nous proposons finalement de montrer l’importance d’une étude des relations entre police et parquet pour mieux comprendre les mécaniques genrées de la production pénale ; ou plus précisément encore, pour mettre au jour les dynamiques d’invisibilisation des femmes délinquantes en matière d’ILS, qui les écartent des procédures pénales et conséquemment des statistiques publiques, contribuant ainsi à donner un genre (masculin) à la délinquance et, par là même, à reproduire et consolider les distinctions stéréotypées entre le féminin et le masculin.
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Rita Carlos : Être assis.e.s ou assigné.e.s ? Des (dé)placements dans l’espace aux trajectoires des acteurs en Centre Éducatif Fermé
RT24 Genre, Classe, Race. Rapports sociaux et construction de l’altérité, Session : 7
Cette étude questionne le lien entre un lieu privatif de liberté et les rapports sociaux de pouvoir qui le traversent et le façonnent. Elle repose sur différentes analyses documentaires (étude de dossiers de jeunes placés depuis l’ouverture, exploration des plans de l’établissement), observations ethnographiques et entretiens semi-directifs au cours d’un terrain d’une durée de deux mois, dont un passé sur le site jour et nuit. Cette immersion a permis, entre autres, de partager plus d’une centaine de repas avec les jeunes et les éducateurs et de considérer la lutte autour des places à table qui a cours au sein de cette zone de rassemblement de jeunes et d’éducateurs. Cet espace-temps particulier met en scène de façon paroxystique le paradigme de la concurrence (Bouamama, 2011) ainsi qu’une hiérarchisation sociale. Toutefois, si ces phénomènes de différenciations et de dominations se trouvent particulièrement matérialisés et saisissables dans ce lieu, ils existent de manière implicite dans chaque circulation et occupation du Centre Educatif Fermé.
Le champ théorique mobilisé pour cette recherche s’inspire de la tradition post-foucaldienne de l’étude des gouvernementalités, à savoir l’ensemble des pratiques par lesquelles on peut constituer, définir, organiser, instrumentaliser les stratégies que les individus, dans leur liberté, peuvent avoir les uns à l’égard des autres (Foucault, 1984).Cet emprunt à la théorie critique au delà de l’usage d’un référentiel transdisciplinaire s’axe autour d’une réflexivité sur les méthodes d’enquête, la position de l’enquêteur de même que les enjeux sociaux liés à celle-ci ainsi qu’à l’objet de l’enquête. A partir d’un savoir situé (Haraway,1991), il s’agit d’appréhender la subjectivation et la participation des acteurs sur le terrain auxquelles l’ethnologue prend part (Favret Saada, 1977) depuis le postulat selon lequel l’interaction entre les agents est à la base des relations humaines et des processus sociaux mais que celle-ci ne saurait être réduite à elle même et nécessite une re-contextualisation socio-historique (Bourdieu, 2012).
Les rapports de pouvoirs de sexe, de classe et de race s’imbriquent et demeurent centraux au sein du quotidien du Centre Educatif Fermé. Ils s’expriment au sein de différents lieux mais également par les frontières implicites qui les séparent. Cependant, l’analyse de ces rapports sociaux emmène la recherche au delà de l’aire et des temporalités initiales de celle ci. A travers leur inscription dans l’espace et notamment la façon dont les acteurs y négocient leurs positions à travers leurs positions sociales respectives (Mills, 2005), les (dé)placements renvoient aux trajectoires au sein desquelles ils s’insèrent. Des stratégies et parcours individuels aux contraintes structurelles qui les encadrent, les pratiques et représentations des acteurs sur le terrain redéfinissent alors l’échelle de l’étude. Malgré son architecture et sa situation géographique, le CEF se trouve loin d’être uniforme, hermétique ou isolé, il se trouve circonscrit par ceux qu’il entoure et ce qui l’entoure.
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Valérie Icard : Les modules de respect : un renouvellement de la logique disciplinaire en prison ?
RT3 Normes, déviances et réactions sociales, Session 2.
Cette communication porte sur les transformations de la logique disciplinaire et des modalités de production de l’ordre au sein de l’institution carcérale.
Dans cette perspective, nous nous intéressons à un dispositif particulier : les modules de respect, expérimentation mise en place dans plusieurs établissements pénitentiaires français à partir de 2015 et appelée à se diffuser à l’échelle nationale [1]. Les modules de respect se caractérisent par un régime de détention spécifique et un règlement intérieur propre, avec pour ambition affichée de rendre la personne détenue actrice de sa vie en détention. Ce dispositif s’inscrit ainsi dans une dynamique plus générale de contractualisation et de responsabilisation des personnes recluses.
Comment l’ordre se négocie-t-il dans ces nouveaux espaces de détention ? Que peut-on en déduire quant aux évolutions de la façon dont le pouvoir s’exerce en prison ? En analysant les usages du système infra-disciplinaire [2] sur lequel reposent ces modules de respect, nous mettrons en évidence un processus de redéfinition de la relation carcérale entre les agents de surveillance et les personnes détenues. Il s’agit ainsi d’interroger les transformations des logiques institutionnelles à l’œuvre afin d’assurer l’ordre au sein de la détention.
Pour cela, nous nous appuyons sur une enquête socio-ethnographique menée dans un centre pénitentiaire français durant cinq semaines. Le matériau empirique est constitué d’entretiens semi-directifs avec les surveillant.e.s pénitentiaires et les personnes détenues, ainsi que d’observations systématiques du quotidien de la détention au sein de ces modules de respect.
Les observations et entretiens mettent en évidence une tension entre les objectifs qui structurent ce nouveau régime de détention. Au-delà des objectifs affichés, on peut faire l’hypothèse que les modules de respect constituent surtout un puissant levier de gestion rationnelle des personnes détenues au sein de la prison, en promouvant de nouvelles formes de pouvoir et d’assujettissement. Confirmant l’avènement d’un modèle carcéral post-disciplinaire (Chantraine, 2006), ce système repose sur l’octroi institutionnalisé de privilèges aux personnes détenues définies par les agents comme « méritantes ». Par le jeu d’un renouvellement des marges de manœuvre des surveillant.e.s, leur autorité s’en trouve renforcée et la relation de pouvoir reconfigurée.
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Adrien Maret : L’action associative en détention en France : Pluralité d’acteurs et jeux d’échelles institutionnelles
RT3 Normes, déviances et réactions sociales, Session : 2.
Les travaux sur la prison ayant les acteurs associatifs comme principal objet d’étude restent encore peu nombreux. Or, il semble pertinent d’affirmer qu’« une approche sociologique globale de l’enfermement pénitentiaire doit les intégrer dans son champ d’investigation ».
Cette communication participe de cette volonté en présentant certains des enjeux que soulève la présence associative en détention. Souvent difficile à percevoir dans son ensemble, elle est d’abord caractérisée par sa pluralité et sa dispersion. Il s’agira alors de recenser et de typologiser les secteurs d’intervention afin d’affiner les représentations sur des acteurs (salarié-e-s et bénévoles) souvent invisibilisés et con-fondus dans la masse des personnelles intervenants dans l’univers carcéral.
La place qu’occupent les associations peut être aussi perçue à travers des rapports différentiés aux administrations et des jeux d’échelles institutionnelles spécifiques (national, régional, local). Ainsi, celui-ci apparait déterminant dans la définition des possibilités et des marges de manœuvre des membres des structures associatives. L’intérêt de cette présentation sera alors d’interroger ce que peut signifier l’intégration (ou non) des associations, souvent dans des espaces interstitiels, en termes de politiques publiques pénitentiaires et d’ordre carcéral.
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