Résultats de la recherche CESDIP-Printemps-ENAP

par Francis BAILLEAU – mars 2012

Les établissements privatifs de liberté pour mineurs : entre logiques institutionnelles et pratiques professionnelles.

Nathalie Gourmelon, Francis Bailleau, Philip Milburn, en collaboration avec Kathia Barbier et Nadia Bedar, ont réalisé pour la Mission de recherche droit et justice une recherche sur les établissements privatifs de liberté pour mineurs.

 

Cette recherche de deux ans étudie le fonctionnement institutionnel et les relations professionnelles au sein de ces établissements (Centres Educatifs fermés, Etablissements Pénitentiaires pour les Mineurs, Quartiers Mineurs des Maisons d’Arrêt).

L’objectif premier de la recherche était d’étudier une des innovations institutionnelles majeures introduites par la Loi Perben 1 de 2002 : les EPM et le binôme, formé par un éducateur de la PJJ et un surveillant de l’Administration Pénitentiaire, autour duquel s’organise la vie ordinaire de la détention.

Les CEF relèvent du secteur éducatif. Les éducateurs y ont seuls en charge l’organisation de la vie quotidienne ; la clôture pour le jeune est basée sur une mesure judiciaire conditionnelle d’obligation de résidence dans le CEF, dont le non-respect peut conduire à l’incarcération du mineur. La vie en détention des mineurs dans les QM est organisée par les surveillants pénitentiaires et la présence récente d’éducateurs de la PJJ n’a modifié qu’à la marge le fonctionnement pénitentiaire. Si des membres de l’Education Nationale ou de la santé sont présents afin de délivrer des prestations, ils sont peu impliqués dans l’organisation du quotidien de la détention. A contrario, dans les EPM, PJJ et AP doivent en principe être plus fortement engagées dans l’organisation et s’impliquer davantage dans la prise en charge journalière des jeunes détenus, structurée autour d’un binôme éducateur/surveillant. C’est dans ces différences entre ces établissements que prend tout son sens notre approche comparative des relations institutionnelles et professionnelles.

Depuis 1945 et jusqu’au aujourd’hui, les éducateurs de la PJJ ont construit leur identité professionnelle en développant des pratiques innovantes de prise en charge éducative des jeunes sous main de justice en s’opposant à celles mises en oeuvre par les surveillants dans des établissements clos et sécurisés par des pratiques disciplinaires strictes. La rencontre contrainte dans ces nouveaux lieux de détention de ces deux professions antagoniques fut un pari des deux administrations qui cherchaient chacune à développer de nouvelles pratiques professionnelles. L’AP souhaitait développer, dans une architecture plus ouverte mais restant sécurisée, un emploi du temps des jeunes détenus faisant une plus large part à des temps collectifs et intégrant un enseignement scolaire régulier, des activités sportives, une surveillance et des soins médicaux plus réguliers ainsi qu’une approche éducative des jeunes détenus. L’objectif visé était de moderniser cette administration, de faire évoluer ces personnels et de respecter l’isolement total des jeunes détenus des adultes détenus afin de se conformer aux textes internationaux. Pour la PJJ, il s’agissait de s’affranchir des anciennes pratiques éducatives basées sur la libre adhésion, le consentement des jeunes à une prise en charge judiciaire afin de développer une prise en charge contraignante ou contenante, sans renoncer à une visée éducative d’insertion, face à une délinquance perçue comme plus violente ou face à des jeunes plus rétifs au placement en institution.

Notre approche comparative de type qualitatif a permis de constater la grande variété de fonctionnements de ces établissements, liée à des logiques qui renvoient à leur histoire, au régime relationnel instauré par les directions, à la pression du nombre de jeunes détenus, à l’environnement judiciaire et à l’équipement éducatif de la région. Dans les quatre EPM étudiés, dont deux d’une manière approfondie, les relations institutionnelles entre les quatre administrations (AP, PJJ, EN, et Santé) étaient différentes, allant de la collaboration, du partage régulé de l’information, d’une participation régulière aux instances interinstitutionnelles au repli sur son précarré, à la culture du secret, à l’implication formelle dans les instances. Les alliances, les coopérations ou les oppositions entre ces quatre administrations ne s’opèrent pas selon la même configuration dans les différents lieux. La même hétérogénéité a pu être constatée au coeur de la principale innovation de ce nouveau type d’établissement : les binômes. Nous avons rencontré, selon les établissements, des attitudes, des engagements des éducateurs comme des surveillants marqués soit par l’adhésion ou le retrait, soit par la contestation ou la confusion des fonctions assurées au sein du binôme.

La principale tension de ce fonctionnement de la détention autour du binôme provient de la difficile, si ce n’est impossible, mise en cohérence des temporalités de chacune des professions. Les surveillants privilégiant le temps présent du bon ordre, de la sécurité, basé souvent sur une discipline du comportement alors que les éducateurs privilégient le temps long de la rééducation qui se construit par une relation individuelle avec le jeune ayant pour objectif l’insertion apaisée et progressive dans la société. La double vocation – pénitentiaire et éducative – des EPM est rendue inopérante par le fait que les logiques institutionnelles à caractère pénitentiaire s’impose à l’activité éducative, audelà des pratiques individuelles. De plus, la conception des EPM en tant qu’établissements carcéraux à vocation éducative n’autorise pas le développement, par les personnels éducatifs de la PJJ, d’outils pédagogiques spécifiques dans un contexte contraignant dont ils ne maîtrisent ni l’organisation, ni l’espace, ni la temporalité. Les QM ne présentent pas la même problématique, l’éducatif intervenant comme service externe. Quant aux CEF, ils sont confrontés à une tension entre logiques pédagogiques et de contrôle, mais celle-ci se traite dans le cadre des pratiques éducatives, non sans difficultés.

Pour ce qui est des EPM, ils sont en définitive traversés par une pluralité de tensions et d’incohérence entre services, entre personnels et entre pratiques qui entraînent nombre de dysfonctionnements et de malaises au sein des personnels (notamment de la PJJ et de l’AP) mais sans doute aussi auprès des jeunes. La multiplication des mouvements de protestation récurrents des personnels, et des incidents provoqués par les jeunes constituent sans doute un indicateur de ces réalités de fond.

Le défi que doit affronter ce nouveau type d’établissements pénitentiaires ne pourra être relevé que si les deux principales administrations sont en capacité d’assurer une réelle formation aux personnels travaillant en EPM. Mais il faut également que les administrations centrales et les directions de ces établissements soient en capacité de prendre en compte et de compenser les difficultés majeures inhérentes à ce type de tâche : une population fragilisée de jeunes délinquants à gérer dans un espace limité et fermé, un collectif pesant, une proximité imposée aux jeunes détenus comme aux personnels, une tension permanente, une non maîtrise de l’amont et de l’aval du séjour en détention, des circulations nombreuses à surveiller, une proximité relationnelle versus un rôle de surveillance et de sanction.

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Voir en ligne : Communiqué de presse du CNRS relatif à cette recherche