Par Romain JUSTON

 

Romain Juston est post-doctorant au Centre de sociologie des organisations (Sciences Po) et docteur en sociologie du laboratoire Printemps (Université de Versailles-Saint-Quentin). Il a soutenu en décembre 2016 une thèse de sociologie sur les médecins légistes en France et sur les expertises judiciaires qu’ils effectuent, thèse engagée dans le cadre d’une coopération du Cesdip avec le CHU de l’UVSQ. Il décrit ici ce corps professionnel sous l’angle de ses transformations récentes en France, depuis une réforme en 2011 de l’organisation de la médecine légale jusqu’à la réforme en cours des études médicales qui instaure une spécialité de médecine légale.

 

Déterminer les causes d’un décès suspect, mesurer la gêne fonctionnelle d’une victime de coups et blessures, déterminer l’âge d’une personne isolée, évaluer la compatibilité de l’état de santé d’un individu avec son maintien en garde-à-vue… les actes que les médecins légistes effectuent sur réquisition du procureur sont variés. Ils concernent des morts et des vivants, des victimes comme des mis en cause. Véritable groupe à part dans la profession médicale, les médecins légistes n’ont pas vocation à soigner mais travaillent quotidiennement comme auxiliaires de justice à l’interface du monde médical et du monde judicaire.

Si un grand nombre de séries télévisées ont mis les « experts » sur le devant de la scène, les médecins légistes n’en demeurent pas moins un groupe professionnel méconnu. On ne sait que très peu de choses de ces médecins et de leur quotidien professionnel ou des modalités à travers lesquelles se fabriquent les preuves médico-légales, pourtant quotidiennement utilisées par les professionnels de la justice pénale. De plus, cette discipline connait actuellement plusieurs transformations. Une réforme de l’organisation de la médecine légale entrée en vigueur en France en 2011 a eu pour objectif de généraliser l’entrée de la médecine légale à l’hôpital en mettant en place des services hospitaliers au sein desquels des médecins légistes « professionnels » (et non plus collaborateurs occasionnels du juge) travaillent quotidiennement à la réalisation d’expertises. Ensuite, une réforme des études médicales entrée en vigueur au 1er octobre 2017 crée un diplôme d’études spécialisées (DES) en médecine légale, la reconnaissant de facto comme une spécialité médicale d’exercice, et non plus une surspécialité qui s’ajoute et se combine à une autre formation d’internat.

La recherche détaille les logiques de ce monde méconnu, fantasmé et en transformation qu’est la médecine légale. Le corps médico-légal peut être abordé sous trois acceptions. En premier lieu, il fait écho au corps des médecins légistes eux-mêmes, façonnés par les gestes à connaître, par les manières de savoir, d’agir et de penser incorporées au cours d’un long processus de socialisation. Ensuite, la formule renvoie au corps violenté, tel qu’il est exploré, décrit, mesuré, éprouvé par les médecins légistes au cours de leurs expertises. Enfin, le corps médico-légal désigne le corps professionnel formé par les médecins légistes. C’est cette dernière acception qui est au cœur de ce texte qui s’attache à décrire la discipline médico-légale comme traversée par des processus de professionnalisation problématiques instituant tantôt le légiste comme un expert judiciaire collaborateur occasionnel du juge et tantôt comme un médecin spécialiste exerçant la médecine légale à temps plein dans des services hospitaliers dédiés. Cette tension est ici examinée successivement à partir des réformes de 2011 et de 2017 qui visent respectivement à instituer la médecine légale comme une discipline hospitalière et comme une spécialité médicale, et non plus selon le modèle de l’expertise judiciaire que la médecine légale a pourtant contribué à forger un siècle plus tôt.

 

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