Des voix de plus en plus nombreuses de la société française expriment leur indignation voire leur consternation devant la recrudescence des violences policières. Comment en est-on arrivé là ? Alors que notre pays s’enorgueillissait d’être exemplaire en matière de maintien de l’ordre, il se retrouve en queue de peloton des pays européens. D’où l’urgence de reprendre cette histoire récente et se demander comment sortir de ce fléau qui fait monter la pression sociale, menace le droit de manifester et abîme l’image de notre pays ?
Esprit de justice a réuni pour répondre à cette un sociologue, Fabien Jobard, auteur avec Olivier Filleule de Politiques du désordre. La police des manifestations en France (Seuil, 2020) et Bernard Thibault, Secrétaire général de la CGT de 1999 à 3013 et administrateur du Bureau international du travail (BIT).
Je crois qu’un des éléments qui peut en partie expliquer les dérives que nous constatons aujourd’hui, c’est la perte de crédibilité que l’on donne à la négociation sociale. Bernard Thibault
La manifestation qui est acceptée, est celle qui ne vient pas bousculer l’agenda gouvernemental. La manifestation qui a pour fin de peser sur la discussion législative est de plus en plus rejetée comme n’ayant plus légitimité dans le jeu politique. C’est une mutation très forte. Fabien Jobard
Le côté « média » a beaucoup changé. Aujourd’hui, pour faire parler de votre cause, il faut trouver un mode d’expression qui attirera les médias qui font, soit disant, de l’information en continu. Ce qui, de mon point de vue, n’est pas de l’information mais de la transmission immédiate d’événements, sans analyse et sans aucun recul. Bernard Thibault
Le politique craint les images car il craint d’être interpellé, non pas sur ce qui s’est véritablement passé dans la rue, mais sur les images qui ont été diffusées. Il y a une distance très forte entre ce qui se passe et les images qui tournent en boucle. C’est vraiment une expression qu’il faut prendre au pied de la terre : le feu de poubelle va être mis et remis, et donner le sentiment que pendant une heure ou deux, la ville est à feu. Fabien Jobard
Dans notre pays, on arrive à un point où une partie de la population dit vouloir choisir des responsables politiques autoritaires à qui on va donner les pleins pouvoirs pour avoir la paix et la tranquillité. C’est sans doute illusoire, car la précarité sociale, déjà bien présente, va être amplifiée par la crise actuelle. Si on pense résoudre des questions fondamentales par de l’autoritarisme, ça nous prépare de mauvais jours. Bernard Thibault
Le désordre fait partie de notre horizon politique dans les démocraties qui sont les nôtres. La Cour européenne des Droits de l’Homme caractérise la manifestation sous l’appellation de désordre acceptable. Il appartient aux gouvernants de donner sa place au désordre. Le refus absolu de toute forme de désordre s’inscrit à l’encontre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et a des conséquences très nettes sur les tactiques policières employées et sur les dynamiques d’escalade avec les manifestants. Fabien Jobard