Olivier Milhaud, Maître de conférences en géographie (UMR ENeC CNRS, Université Paris-Sorbonne) et David Scheer, Docteur en criminologie (Centre de Recherches Criminologiques, Université Libre de Bruxelles), responsables du séminaire GERN 2017/2018, lancent un appel à communication sur le thème « Architecture carcérale contemporaine : matérialités, utopies, prospectives« .
Trois séances de séminaire seront organisées sur deux années académiques (2016/2017 – 2017/2018) à Paris et Bruxelles. En moyenne, six interventions seront organisées par journée (avec discussions en mi- et fin de journée) :
- Séance 1 (9 juin 2017) : La matérialité carcérale conçue et vécue.
- Séance 2 (17 novembre 2017) : L’utopie pénitentiaire et les modèles carcéraux.
- Séance 3 (11 mai 2018) : Architecture carcérale : prospectives et débats contemporains.
Toutes les propositions de communication (titre et résumé de 2000 signes maximum) sont à adresser à Olivier Milhaud et David Scheer avant le 31 janvier 2017.
L’architecture pénitentiaire fait figure de parent pauvre de la sociologie carcérale et plus largement des recherches en sciences humaines relatives à la prison. Du moins, l’espace bâti pénitentiaire n’est que rarement au centre de l’analyse. Le regard scientifique se tourne généralement sur le compromis pragmatique concret qui résulte d’un processus peu étudié, et sur les pratiques et usages réels au sein d’un dispositif particulier. A ce titre, les études sociologiques ou ethnographiques sur le quotidien carcéral – des détenus ou des professionnels – foisonnent et il serait long et fastidieux de les citer. Cependant, peu d’entre-elles centrent le regard de l’observateur sur les espaces en détention ; il faut, dès lors, se tourner vers les sciences géographiques et architecturales. Les quelques recherches en la matière offrent un état des lieux relativement unanime en mettant en lumière les effets néfastes de l’agencement spatial pénitentiaire : l’enfermement diminuant l’emprise de l’individu sur le monde (Joanne, Ouard, 2008), la prison comme double séparation – par rapport au reste de la société par l’emplacement géographique et entre détenus au sein du bâtiment pénitentiaire par les discontinuités architecturales (Milhaud, 2009) – ou un regard sur des lieux spécifiques de cristallisation des rapports carcéraux (Rebout, 2008). Néanmoins, la sociologie carcérale (qui emprunte régulièrement les méthodes et épistémologies de l’ethnographie) semble se renouveler, notamment par des analyses qui placent l’espace au centre du regard scientifique.
Si de jeunes chercheurs travaillent ces questions dans des disciplines variées et présentent leurs travaux dans des sphères de communication contrastées, ce séminaire international a pour objectif premier de les réunir lors de trois séances afin de penser, ensemble, les manières d’observer, d’analyser et d’interpréter l’espace pénitentiaire contemporain. Ainsi, sociologues, juristes, géographes, architectes, anthropologues, etc. sont invités à présenter leurs analyses respectives, depuis leur propre champ de recherche.
Ce séminaire opte pour un double parti pris. D’abord, il convient de se focaliser exclusivement sur des questions d’espace(s) pour évoquer la prison. En effet, la sociologie carcérale étant foisonnante, la focale d’analyse sera singulièrement réduite afin de se concentrer sur des questions architecturales, géographiques et spatiales. Ensuite, les interventions et discussions porteront essentiellement sur la prison contemporaine, c’est-à-dire en admettant les analyses historiques ou prospectives pour ce qu’elles ont à dire sur la prison, le système carcéral et la politique pénitentiaire d’aujourd’hui.
Trois axes de réflexion – pour autant de séances de ce séminaire international – sont proposés.
- Lors de la séance introductive, la matérialité pénitentiaire sera au centre des discussions. Il sera question des manières d’aborder l’architecture carcérale dans diverses disciplines scientifiques (ethnographie, sociologie, géographie…). La journée s’articulera autour des notions d’espace carcéral conçu et vécu. La matinée portera davantage sur l’architecture pénitentiaire comme résultat, sur le processus de conception. L’après-midi sera l’occasion d’évoquer l’architecture carcérale en ce qu’elle fait faire aux acteurs, les usages et les pratiques par et dans l’espace. Ces deux axes de recherches paraissent fournir – par le haut et par le bas – une lecture de l’institution pénitentiaire, à la fois dans leur conception et dans leurs manières d’être perçues, subies et vécues au quotidien. L’objectif est ici de combler un pan sous-investi dans la recherche sur l’architecture carcérale. La littérature sur le sujet offre le plus souvent un panorama, une typologie ou une histoire des architectures carcérales. Parfois, les études visent à évaluer les conditions matérielles de détention. Il est important, lors de cette première journée de séminaire, de se décaler par rapport à cette littérature afin d’approcher l’espace carcéral pour ce qu’il est, ce qu’il devient, ce qu’il fait faire à ses occupants.
- La question de l’utopie occupera les débats de la seconde séance de séminaire. Il s’agira de développer l’analyse de projets pénitentiaires « modèles », de questionner l’incessante quête de la prison idéale et de la forme parfaite. Concernant le champ pénitentiaire, l’architecte Ch. Demonchy (2004) évoque le projet d’utopie qu’incarne tout dispositif. Les décisions prises au niveau de la conception influencent la vie future au sein d’un dispositif en empêchant et/ou en favorisant certains usages des lieux. Une autre auteur, également architecte, évoque la contradiction architecturale inhérente à tout projet pénitentiaire : penser un espace d’enfermement contraint (Héricher, 2010). Cette séance vise précisément à étudier cette aporie entre la recherche de l’utopie et l’impossible pensée architecturale en matière pénitentiaire. Lors de la matinée, la question des modèles (importations/exportations, innovation/reproduction…) sera spécifiquement traitée. L’après-midi se concentrera sur le rôle des architectes en matière carcérale, sur l’idéalité et sur les projets pénitentiaires avortés.
- La troisième et dernière séance portera sur les enjeux et les prospectives en se penchant sur la prison contemporaine en évolution, et sur la prison de demain. Lors de la matinée, il conviendra d’appréhender la notion d’innovation, les « nouveaux » registres de légitimation ou le recours aux nouvelles technologies afin de questionner les mutations éventuelles en matière d’architecture carcérale. Les interventions et débats organisées durant l’après-midi poursuivront le débat en s’attardant sur les projets architecturaux des prisons futures et sur les éventuelles nouvelles voies en matière de traitement carcéral. Finalement et en guise d’ouverture, il conviendra de déplacer la focale d’analyse afin d’interroger le non-espace pénitentiaire, l’abolitionnisme par l’architecture.
Au terme des séances, un dossier sera proposé à une revue scientifique.