par Caroline TOURAUT, Gilles CHANTRAINE, Séverine FONTAINE (mars 2009)
Cette étude restitue et analyse 20 trajectoires sociales de mineurs incarcérés dans des quartiers mineurs en France, au sein de deux maisons d’arrêt et un centre pénitentiaire en 2007-2008. La détention n’est donc pas tant analysée du point de vue d’une sociologie des organisations ou des institutions, mais comme un lieu de passage, un point vers lequel convergent des destins individuels. L’enquête repose sur une méthodologie originale, qui a consisté à réaliser une série d’entretiens biographiques en détention, puis à retrouver les jeunes interviewés quelques mois après leur sortie de prison. Ce dispositif a permis, au moins partiellement, de combler le manque crucial du point de vue des savoirs sur la prison. Ce manque peut être résumé par deux questions : concrètement, comment se déroulent les sorties de prison ? Comment le rapport à l’enfermement évolue-t-il au fil du temps, pendant et après la détention ?
Mue par ces interrogations, la collecte des données a permis de déplacer le regard, depuis une interrogation criminologique sur le « passage à l’acte » et une interrogation pénologique sur le « sens de la peine » vers l’analyse des rapports biographiques à la prison. Loin de tout réductionnisme criminologique ou pénologique, il s’agissait donc de saisir, à travers de récits de vies que nous avons voulu restituer dans leur singularité et leur foisonnement propres, que les contraintes et les marges de manœuvre des acteurs, de part et d’autre des murs de la prison, sont à la fois déconnectées et connectées entre elles. Déconnectées, parce que la prison est une structure spécifique dont l’impact social et psychique reste irrémédiablement ouvert. Connectées, parce que les formes d’adaptation à la prison dépendent aussi des capacités d’action, des supports sociaux, des lignes scolaires et familiales, des inscriptions territoriales et de rapports à la délinquance antérieurs à la détention.
Par-delà la poussière des faits concrets, la profusion biographique des récits, et les savoirs indisciplinés récoltés au fil de l’enquête, un constat général émerge : pour nombre de détenus, le passage par la prison ne prend sens qu’au sein d’une trajectoire d’enfermement. Par trajectoire d’enfermement, nous voulons signifier non pas seulement la trajectoire du détenu en détention (choc de l’arrivée, adaptation, préparation à la sortie…), ni seulement les enfermements institutionnels (CER, CEF) qui, éventuellement, précèdent ou succèdent à la détention. Nous voulons plus largement et plus fondamentalement insister sur la manière dont ces trajectoires sont narrées par les principaux intéressés comme des destins auxquels il était impossible d’échapper. Enfermement territorial, enfermement biographique (pauvreté, déscolarisation), les récits se structurent autour de l’incapacité à changer de vie. Souvent, seule la « professionnalisation délinquante », soit le passage d’une délinquance de rue à une délinquance plus rentable et mieux organisée, prend la forme narrative d’une reprise en main de son existence.
Dans ce cadre, la détention « encapacite » (empower)-t-elle les jeunes ? Entre d’autres termes, augmente-t-elle les capacités d’action des mineurs incarcérés ? Leur ouvre-t-elle des perspectives biographiques ? Crée-t-elle, au contraire, de l’incertitude et de l’impasse ? Des rêves de normalité ? De la rébellion ? Du stigmate ? Du « respect » ? S’inscrit-elle dans un « ordre des choses » ou vient-elle rompre le cours d’une existence ?